Mutzig, ville de
6000 habitants, est surtout connue pour sa célèbre bière.
Créée en 1810 par
Antoine Wagner, la brasserie de Mutzig produisait déjà en 1870,
6000 hectolitres par an et elle a employé jusqu'à 300 personnes.
Epargnée pendant les guerres, elle va fusionner avec d'autres
brasseries en 1969 pour former l'ALBRA (ALsacienne de BRAsserie),
mais sera rachetée par Heineken en 1972.
La brasserie ferme
en 1989, mais sous la marque Mützig, on trouve encore de la bière
brassée à Schiltigheim et ….en Afrique ( Rwanda, Cameroun,
Kisangani).
Lorsque
Heineken décide d'arrêter la production en 1987, une centaine de
salariés y travaillent encore. Le gros matériel de production
(cuves, etc...) est emmené dans une brasserie du groupe dans le
Nord. Le site est en bon état. Il est proposé aux salariés de
venir travailler à la brasserie de Schiltigheim : Heineken paye
le transport et le temps de travail est décompté dès la montée
dans le bus de ramassage.
D'autre
part, Heineken envisage de démolir la brasserie et de faire don du
terrain ainsi dégagé à la commune.
Mais
ce qui semble à priori raisonnable, peut devenir très
complexe, quand des intérêts personnels sont mis dans le panier.
UNE
HISTOIRE EDIFIANTE EN ABUS DE POUVOIRS, DETOURNEMENTS DE FONDS,
FAVORITISME DE MARCHES ...
Le maire d'alors, André Courtès, envisage de devenir député et
cherche un projet porteur : il décide de vouloir sauver la
Brasserie de Mutzig. Quelques syndicalistes CGT occupent le site pour
que, disent-ils, la production puisse reprendre sur place. Mais alors
pourquoi, paradoxalement, commencent-ils à vendre ce qu'il y a dans
l'usine à un ferrailleur qui leur reverse 30 000 frs par semaine ?
Pendant le démontage de tout le matériel, tous les fluides des
tuyaux, les fonds de cuve, tous les produits s'écoulent et finissent
dans les caves de la brasserie.
Pour la « petite » histoire, un des syndicalistes,
Philippe Frankinet, deviendra ...l'adjoint du maire Courtès.
Un premier acquéreur était prévu, la Sarest, filiale du groupe
Crédit Mutuel-CIC, qui propose de l'aménagement foncier et la
conception d'espaces urbains nouveaux avec les collectivités
locales. Le Conseil Municipal donne son accord, mais le maire s'y
oppose et exige des conditions de paiement que la Sarest ne peut
honorer dans des délais aussi courts (une quinzaine de jours).
La
brasserie est finalement acquise par la commune en 1992 qui se
retrouve avec 1,2 hectare de friches industrielles en plein centre
ville et des bâtiments vidés et déjà bien abîmés par les
démontages des matériaux vendus. Le coût de ce rachat se monte à
8 millions de francs, mais la société Heineken consent à la
commune une somme de 2,5 millions de frs destinés à la
revitalisation industrielle du site. Et elle accorde encore une aide
supplémentaire de 550 000 frs destinée à la réalisation d'études
complémentaires pour ladite revitalisation.
OÙ VA L'ARGENT ?
La
commune fait un emprunt de 8 millions et verse 5,5 millions à
Heineken (8 M – 2,5 M de ristourne). Elle dispose donc encore de
2,5 millions sur l'emprunt, plus l'aide supplémentaire de 550 000
frs versée par Heineken.
Concernant ces 550 000
frs, le maire, sans consultation du Conseil Municipal, adresse à
Heineken dix factures de 55 000 frs (établies sur papier à entête
de la mairie) précisant que les versements devaient être effectués
au nom et sur le compte de l'Omslc (Office Municipal des Sports,
Culture et Loisirs) dont le président est….le maire !
Pourtant, il était inscrit que cette aide devait servir à la
« revitalisation du site de la brasserie » !!!
D'autre part, sans
appel à la concurrence, le Conseil Municipal autorise le maire à
conclure une convention de prestations de service pour l'aménagement
du site avec une société, Eurocyt, qui avait pour seul salarié son
PDG, Jean Dock (un proche du maire ?). Et voilà la suite :
une somme de 2,5 millions de Frs est octroyée à Eurocyt pour cette
mission (le reste de l'emprunt). Et encore une dose : cette
société obtient également une convention de bail à construction
de 30 ans et peut agir comme marchand de biens pour revendre le site
par lots en touchant une plus-value/commission à chaque vente, ...
évidemment !
Il semblerait, selon
plusieurs témoignages, que ce n'est pas une commission qu'il
empochait uniquement, puisque aucune somme correspondant aux lots
vendus n'est jamais apparue dans la comptabilité de la commune. Et
même, il y aurait eu des chèques versés par l'Omslc (des 550 000
frs) au nom de Jean Dock pour des avances....qui n'ont jamais été
remboursées !
Voilà comment on peut
attribuer à un particulier, des sommes énormes d'argent public et
des biens immobiliers communaux importants à gérer. Car comment
peut-on appeler cela autrement quand une société a un seul
actionnaire, son PDG??? Et tout cela sans avoir quelque chose à
débourser comme partenaire dans l'affaire, ni même avoir à
participer à des appels d'offre publique.
La Cour des Comptes
Régionales dénonce dans son rapport (1994) toutes les irrégularités
concernant le dossier du Parc de la Brasserie. Le maire est condamné
à une amende de ….2000 frs à payer avant 6 mois sous peine
d'inéligibilité. Aux élections de 2001, André Courtès n'est pas
réélu.
Le maire suivant, Roger
Niggel, permet à l'entreprise de démolition/construction Pires de
remplir les caves du bâtiment de production de l'ancienne brasserie
avec tous leurs gravats et déchets divers qu'elle récupère sur ses
différents chantiers en Alsace. Mais d'autres industriels du coin et
même des particuliers en profitent également, et cela probablement
déjà avant le changement électoral. Cela conduit à faire de ce
bâtiment une immense décharge sauvage où on retrouve même 200
litres de pyralène déversés dans les caves et gravats. Il n'est
pas inutile de rappeler que le pyralène est une huile synthétique
utilisée comme isolant dans les industries électriques et qui
dégage de la dioxyne, hautement cancérigène, en chauffant. Sa
production était pourtant interdite depuis ...1987. Et ça ne
s'arrange pas au niveau de la pollution, puisque avec la construction
de logements autour, ce bâtiment devient vite un lieu de « jeux ».
De temps à autre, un feu se déclare à l'intérieur et les pompiers
arrosent abondamment, entraînant les divers produits déversés vers
le sous-sol.
Un peu plus tard,
Eurocyt se déclare en difficulté financière et demande des aides
au gouvernement (!) pour employer certains anciens salariés
(les syndiqués) en fin de droit de chômage. Ce choix est-il une
compensation pour les « aides » du maire ? La « société »
Eurocyt sera mise en liquidation peu de temps après, en 1996, loin
d'avoir rempli sa mission et on peut se demander à quoi ont été
employées les sommes d'argent public versées, où est passé le
pactole des ventes, des versements émanant de l'Omslc par chèque.
AUJOURD'HUI
Deux bâtiments (le
« Château » et le « petit château ») en
brique et grès des Vosges rouges (style néo-Tudor), inscrits en
2002 aux monuments historiques, ont été rénovés. Ces bâtiments
servent à une pépinière d'entreprises (30 bureaux, pas tous
occupés, une quinzaine de sociétés à ce jour) avec une salle de
réunion/conférence et une autre, brute, qui devrait abriter une
micro-brasserie/restauration de 150 places si la commune trouve un
acquéreur. Deux nouveaux bâtiments abritent des bureaux de services
publics entre autres pour l'un et une résidence de tourisme qui a
servi essentiellement à des opérations de défiscalisation par la
vente/achat des « chambres/studios » pour l'autre. Les
dépenses d'un montant de 4 785 000 € ont été réparties entre
l'Etat (750 000 €), le Pays (50 000€), le Conseil Général (623
495€), la Région (935 240 €), le Fonds Européen (400 000 €),
la commune (2 026 260 €). Le Parc de la Brasserie a été inauguré
en septembre 2011.
Il reste encore 5 lots
dont le bâtiment principal de production qui est dans un état de
délabrement très avancé avec une décharge sauvage dans son
sous-sol et une accumulation de divers produits déversés depuis des
années. Alors que des sommes importantes (détournées et mal
gérées) étaient allouées à la réhabilitation-revitalisation du
site, la commune se tourne aujourd'hui vers l'Etablissement Public
Foncier du Bas-Rhin, initié par le Conseil Général (argent public
encore), afin que cette structure s'occupe d'acquérir les bâtiments
(qui ont déjà été acheté une fois par la commune il y a vingt
ans!!!). La commune « remboursera » lorsqu'elle aura
procédé à la démolition, désamiantage, dépollution (ce qui
devrait lui coûter pas loin de 2 millions € et quelques années
de travaux) et aura vendu les terrains pour des bureaux, du stockage,
mais aussi des places de parkings (payants ?). En attendant, le
bâtiment-poubelle est ouvert à tous vents, accessible à tous,
criblé de trous dans les sols, là où passaient les tuyaux avant
leur démontage. Le maire actuel, Raymond Bernard, responsable de
l'état sanitaire et de la sécurité dans sa commune ne semble pas
prendre la pleine mesure de l'état de dangerosité et de pollution
du site. Mais, en cas d'accident grave, qui va se renvoyer la
responsabilité ? Les différents propriétaires des lots, dont
la commune, qui détient le lot principal ?
Quand on se souvient du
début de l'histoire, on se dit qu'il y a eu là beaucoup de
circulation d'argent public, qui n'est pas allé où il aurait du
servir et que l'addition est devenue si énorme que ça a bien moussé
au pays de la bière, mais avec le résultat qu'il y a toujours
encore une partie dangereuse et polluée au milieu du site, 25 ans
après, ce qui aurait pu être réglé en quelques années de façon
sensée.
Nous avons là un bon
exemple de ce que les conflits d'intérêts, les abus, la
permissivité peuvent faire comme dégâts et dépenses avec les
résultats visibles et tout cela avec des élu-e-s qui sont parfois
juges et parties, avec la complicité et la bienveillance des proches
qui y trouvent des avantages financiers directs ou indirects, avec de
l'argent public qui devrait servir les intérêts de la commune,
l'intérêt général...
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