On
occupait le campus de l'Université de Strasbourg, l'amphi de la fac
de lettres devenait le lieu des assemblées générales, du débat
permanent, les locaux de l'école d'architecture de la place de la
République un lieu de confection des affiches qu'on collait la
nuit...On était jeune, on voulait changer le “vieux monde",
vivre plus libre, sortir du carcan conservateur qui sévissait,
casser les barrières, découvrir autre chose... La guerre était
finie depuis presque vingt-cinq ans, nous étions la génération de
l'après qui voulait jouir de cet espace de paix et de prospérité
lié à la reconstruction.
Maintenant,
ce sont nos enfants qui occupent les places publiques, qui réinventent
la démocratie horizontale, qui expriment leurs envies, leurs désirs,
leurs rêves, qui cherchent à construire un nouveau modèle du vivre
ensemble, de vie tout simplement.
(dessin de Phil Umdenstock-Colmar)
Il y
a quelque temps, Patrick, mon ami vigneron, se disait choqué par ce
qu'il voyait autour de lui. Il me racontait que dernièrement alors
qu'il se baladait en ville, il a vu une mère qui promenait sa
poussette avec un très jeune enfant dedans. Et cet enfant regardait une tablette numérique dans sa poussette alors qu'il devait avoir deux-trois
ans...
Il
faut bien reconnaitre que où que nous allions, nous voyons nos
adolescents, nos jeunes, accrochés à leur téléphone portable,
connectés en permanence, les écouteurs collés aux oreilles. Cela
peut être inquiétant pour une certaine génération, mais l'espace
a été envahi très vite par tous ces objets connectés et c'est un
super business. On pensait aussi que cela appauvrissait la réflexion,
qu'ils étaient indifférents au monde réel, que c'était chacun-e
pour soi et qu'avant tout, il fallait essayer de “s'en sortir” au
mieux, sans espérer que cela dure. Détachés de la politique,
car celle-ci sert essentiellement aujourd'hui les intérêts des
entreprises en précarisant la main-d'oeuvre. L'accord
transatlantique en discussion, le traité européen ont ouvert les
barrières commerciales, financières et ont mis les salariés dans
une situation de concurrence mondialisée. Les bénéfices des
entreprises ne sont plus partagés (sauf avec les actionnaires) ou
investis, mais placés en Bourse dans une économie virtuelle vouée
à développer des crises à répétition.
Et
puis, depuis quelques semaines, une partie de cette jeunesse s'est réveillée,
s'est mobilisée, a retrouvé le sens de l'action collective. Et
quand la jeunesse bouge et agit en groupe, le pouvoir politique
tremble : ça a toujours été le cas, il faut bien en être convaincu.
Nous
sommes aujourd'hui dans un moment fort où il y a la rencontre entre
des personnes qui sont déjà en lutte pour un autre modèle de
société et des citoyen-ne-s qui sentent bien qu'il y a un problème,
mais qui ne savent pas comment l'aborder et agir dessus. Il s'agit
de faire le lien entre ces deux attitudes, d'inviter ces indécis ou
démobilisés à rejoindre les luttes en cours, les mouvements
citoyens qui bougent, à se réimpliquer dans la politique plutot que
de voter pour le moins pire ou par chantage au Front National/RBM. Le
mouvement actuel fait le point sur ces luttes disséminées partout,
sur ces iniatives citoyennes de personnes qui (se) bougent, agissent
pour faire évoluer les choses, changer la vie. Nous sommes dans un
moment de convergence de ce qui se passe déjà partout.
Ce
mouvement se veut avant tout en dehors des partis traditionnels, en
dehors des sphères des “élu-e-s”, un mouvement qui veut
réinventer la démocratie directe, horizontale, aux décisions
collectives sans représentant-e-s. Mais cette démarche ne peut
cependant s'appuyer que sur des idées politiques définies par un
fond commun partagé comme la remise en question du productivisme, du
pouvoir financier, la lutte contre les idées d'extrême-droite, une
prise en compte très forte de l'écologie, …
Longues
et riches discussions lors des débats, partage des expériences,
travail de synthèse en commissions, l'opposition constructive au
projet de loi du travail dépasse largement ce cadre pour esquisser
tout doucement le type de société dans laquelle veut vivre cette
jeunesse et sur quelles bases. La citoyenneté est bien le rapport
entre Etat et société et comme l'écrivait Victor Hugo : “Rien
n'est plus puissant qu'une idée dont l'heure est venue”.
Et
aujourd'hui la diffusion des idées peut aller très vite avec les
moyens numériques ….dont sont équipés tous nos jeunes et qu'ils
maitrisent très bien. Le problème n'est donc pas l'outil (pour en
revenir aux propos du début de cette rubrique), mais son utilisation,
qui peut s'avérer redoutable en terme d'appels à mobilisation et à
la diffusion des informations ou vidéos.
Dans
ce même temps, la caste des élu-e-s, qui pense déjà à leur
réélection aux Législatives de l'an prochain, à la
Présidentielle, oublie qu'elle peut subir un choc, une révolution,
une crise institutionnelle provoquée par ce mouvement qui pronerait
un boycott, une grêve des élections et des urnes, ce qui serait un
moyen de donner un grand coup de balai dans ce vieux monde, dans ce
modèle de société que cette jeunesse ne veut plus et nous, non
plus.
Tôt
ou tard, la question institutionnelle des échéances électorales
apparaitra dans ce mouvement “Nuit debout” et la question du
choix apparaitra. Autant dégrossir la question avant, pour ne pas
subir à nouveau le chantage classique du “contre” ou “par peur
de...” !
Pour
moi, le choix d'un boycott des urnes ou de la grêve du vote me parait
aujourd'hui pertinent et peut devenir opérant si cela devient un
mouvement de masse explicité.