Cette semaine, c'est la "rentrée scolaire", la reprise du temps de l'école et le réajustement du rythme quotidien dans les familles avec enfants. Je peux encore me souvenir des émotions et angoisses que cela provoque aussi bien chez les enseignant-e-s que chez les enfants et ....les parents. Pour moi, ce temps a passé et je suis aujourd'hui retraité de l'Education Nationale. C'est avec ce vécu et ce recul que j'aimerai développer quelques points concernant l'école au sens large.
Retraité donc, je touche une pension mensuelle de l'Etat (comme tout fonctionnaire) qui correspond à une péréquation entre mon salaire d'enseignant, le nombre d'années que j'ai travaillé et les cotisations versées mensuellement pour ma retraite. J'ai signé mon contrat à 15 ans, je fais partie de cette dernière génération qui a été formée à l'Ecole Normale d'Instituteurs de l'avenue de la Forêt Noire à Strasbourg qui était la première Ecole Normale de France.
Fils d'ouvriers, de famille nombreuse, l'Ecole Normale était un lieu de promotion sociale pour les bons élèves, puisque l'Etat prenait en charge notre formation (en internat) dès l'âge de 15 ans en contrepartie d'enseigner au minimum 10 ans dans l'Education Nationale. Ce n'était donc pas mon choix forcément, mais une possibilité offerte à mes parents modestes (la prise en charge des frais de scolarité et de formation supérieure/Bac + 2 ou 3). J'ai donc fait mon bac et la fac...et j'ai commencé à enseigner dans une classe. Cette petite introduction afin de vous faire comprendre comment se passaient les choses dans ce siècle passé à partir des années 60.
Je remercie donc mon pays et ses institutions de me permettre de vivre aujourd'hui une retraite très agréable en m'accordant une pension suffisante à ma vie simple. Je suis arrivé en "fin de carrière" épuisé, fatigué, de moins en moins patient devant des adolescents de plus en plus "sauvages" et sans repères et ne supportant plus du tout ma hiérarchie de plus en plus administrative et de moins en moins près de la réalité de la vie quotidienne d'une classe ou d'un établissement scolaire. J'ai vu l'évolution du système scolaire de 1965 à 2006 et j'ai eu le temps d'y réfléchir avec le recul ces dernières années.
Tout d'abord, il faut bien se mettre dans la tête qu'un fonctionnaire est au service d'un Etat avec une mission particulière qui est pour un-e enseignant-e d'accompagner des enfants dans leur construction personnelle afin de devenir un adolescent-jeune adulte citoyen responsable, curieux et inventif et qui porte un regard innovant sur le monde qui nous entoure. Cet accompagnenment est progressif dans ses apprentissages et commence par l'acquisition d'une certaine autonomie en passant par la maîtrise de la parole, de la lecture, de l'écriture, du calcul, de la recherche documentaire, ....Les enfants ne sont pas des machines et chacun-e a son propre rythme, son propre cheminement, ses propres stratégies pour y arriver. Or l'école publique ne se donne pas vraiment les moyens pour respecter cette individualité et on en arrive à de la "gestion de groupe" en s'éloignant de plus en plus des objectifs premiers pour en arriver à une "évaluation permanente des acquis" qui commence dès la maternelle, à 3 ans !!!! Or, beaucoup d'enseignant-e-s regardent du côté des écoles "alternatives" (Montessori, Steiner, Freinet, ...) car ils-elles sentent bien qu'il y a là plus de respect du rythme de l'enfant, de ce qui est essentiel...
Un fonctionnaire n'est pas à la botte des directives d'un-e ministre (et de ses sous-fifres, les inspecteurs) car ceux-là (ou celles-là) changent régulièrement (et de plus en plus vite), chacun-e voulant laisser une trace avec une réforme. Vous en avez déjà vu passer combien ? Vous avez opéré combien de changements de "rythmes scolaires , de méthodes, de contenus) ? Combien de fois avez-vous assisté à ces grandes messes où on vous expliquait les nouvelles directives, où on vous demandait de participer à des discussions pour améliorer le sytème mais dont on ne tenait pas compte au final car c'était "idéaliste, trop compliqué à mettre en oeuvre, complètement à côté de la réalité des besoins du pays et du système de production, ....etc...etc...etc...". Je veux surtout dire par là qu'il vaut mieux être un peu plus sourd du côté de nos supérieurs et plus à l'écoute des enfants et de ce que nous détectons chez eux.
Cette année c'est à nouveau la mise en place de nouveaux rythmes scolaires avec ces 5 matinées à l'école (4 jours et demi hebdomadaires). Le rythme de l'enfant est une vieille histoire et on pense plus au rythme professionnel des parents que de l'intérêt des enfants. Car si on voulait vraiment s'approcher du temps de l'enfant, on ferait un accueil échelonné le matin jusqu'à 9 heures afin de permettre un réveil sans stress en sachant bien que les apprentissages sont plus facilement intégrés entre 9hrs-11hrs et 15hrs-17hrs, que ce n'est pas le temps passé à l'école qui est primordial, mais ce qu'on y fait dans la variété la plus grande en alternant apprentissages et découvertes, activités "intellectuelles" et expérimentations créatrices....Et pour cela, l'école est un lieu partagé entre enseignants, éducateurs périscolaires, parents, intervenants et conseillers municipaux chargés de l'entretien, de la sécurité du bâtiment et de l'équipement scolaire.
Il me semble donc évident- mais cela est un avis personnel- que le temps passé à l'école pour un enseignant ne pas être normé dans un horaire strict, mais au même titre que les autres partenaires, cela demande de la souplesse et une présence journalière plus longue ou différente. Ce point est en débat "éternel".
J'entends aussi que les enseignants sont souvent raillés et montrés du doigt avec leurs 16 semaines de vacances annuelles et parfois une certaine nonchalence dans l'exercice de leurs fonctions. Cela est légitime quelque part puisqu'il y a des abus comme partout. Mais la plupart des enseignant-e-s sont totalement conscient-e-s d'exercer un métier particulier qui demande une implication bien plus profonde, parfois plus insidieuse (quand on est "sérieux" et sensible à sa "mission", on est toujours en recherche) que pas mal d'autres métiers. Et il est aussi souvent difficile d'entendre les parents qui viennent exprimer leur mal-vivre personnel sous forme de reproches envers l'école.
Si je n'ai pas vraiment choisi ce métier au départ, si je n'ai pas vraiment compris et réfléchi pendant mes premières années, cela est venu petit à petit, et devenu une passion, tant partager avec des enfants et adultes est un échange permanent et toujours renouvelé, riche, surprenant, formateur...
C'est pour cela que je répète souvent la même chose : enseignant-e-s, prenez votre part dans l'avenir de ce pays, vous formez les jeunes adultes de demain, écoutez-les et faites parfois la sourde oreille du côté de vos supérieurs qui sont justes des exécutants de directives (qui changent en permanence sans forcément grande cohérence). Vous êtes les mieux placé-e-s pour savoir ce qui est bon, bien pour vos "élèves", suivez vos idées, vos intuitions, vos ressentis, battez-vous pour imposer vos projets...
Avec le recul, vous savez bien aussi vous-mêmes ce qui vous reste de toutes vos années scolaires où on a essayé de faire de vous des "bêtes" savantes à réciter les rois de France, les chefs lieux de départements, les formules chimiques ou physiques,...etc...(je rigole, mais vous me comprenez). Qu'en reste-t-il ? Aujourd'hui on trouve sur Wikipédia quand on veut savoir, pour celles et ceux que ça intéresse...(là, je souris).
J'ai gardé beaucoup de respect pour les enseignants, mais je suis aussi très critique quand j'en entends qui se plaignent et ne se battent pas ou qui pleurent puisque c'est dur, etc...Il faut regarder autour de soi avant de geindre ! Je ne dirai pas par là que les enseignants sont des privilégiés car quand on est fonctionnaire, on a un salaire qui n'augmente que peu tout au long de sa carrière, c'est le monde autour de soi qui bouge. Je me souviens qu'en début de carrière, je gagnais bien moins qu'un ouvrier qualifié/spécialisé (les O.S.) et on n'était que peu considéré. Aujourd'hui, on montre parfois du doigt les enseignants comme des privilégiés avec leurs vacances payées (et les RTT des cadres alors !!! les 13ème, 14ème mois, les primes, les avantages en nature, etc...), avec leur sécurité de l'emploi, leur retraite garantie...Mais rien de cela n'a changé depuis les années 50 du siècle dernier, alors pourquoi des reproches, tant de rancoeurs...Si le monde a changé, chacun en est responsable, par silence, lâcheté ou sentiment d'impuissance. Les fonctionnaires devaient servir d'exemple au secteur privé et l'entraîner vers ce minimum d'acquis. Aujourd'hui, on met les fonctionnaires au ban de la société considérés comme des profiteurs alors qu'ils sont là pour nous rendre des services, rendre notre vie meilleure, plus facile...Mais qui réfléchit encore ainsi dans ce monde individuel et égoïste ou seule compte la plus-value...
Les enfants d'aujourd'hui sont notre avenir. Pour moi ils le sont d'autant plus que la génération qui nous a suivi, nous, n'a rien voulu entendre de nos expériences, croyant qu'ils pouvaient tout inventer à leur façon "moderne" de golden boy, libéralisme oblige, capitalisme seul dogme reconnu et gagnant. On voit où on en est...Quelque part carrément moins bien qu'au sortir de la deuxième guerre mondiale selon ce qu'on regarde...Mais bon, c'est encore un autre débat...
POUR EN SAVOIR PLUS :
Cet article ci-dessus de Médiapart a été écrit en juillet 2014 avant le remaniement, mais comme il parle d'un rapport ministériel sur l'état de l'école et les perspectives, cela ne change rien.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les commentaires sont lus avant publication non pas pour censure ou rejet, mais pour un filtrage concernant insultes, attaques personnelles essentiellement.
Vous pouvez signer vos textes-commentaires pour des réponses personnalisées, des échanges dans le débat.