" Sans
vouloir être désobligeant, ni
viser quelque candidat que ce soit (il en est de talentueux et de
méritants), on a un peu l’impression qu’avec l’onction de la
rue de Solferino même un âne aurait eu de bonnes chances d’entrer
à l’Assemblée nationale en ce mois de juin. C’est sans doute ce
qu’on appelle la logique institutionnelle. Nos concitoyens ont
porté François Hollande à l’Élysée ; ils ont
naturellement à coeur aujourd’hui de lui donner les moyens de
gouverner. Ils ont même poussé la gentille attention jusqu’à lui
épargner la contrariété qui aurait pu naître du voisinage
d’alliés indociles.
Exit,
donc, Jean-Luc Mélenchon et
autres députés communistes sortants sortis. C’est ainsi depuis
2002 et la « géniale » inversion du calendrier électoral
par Lionel Jospin : les législatives sont perçues comme un
simple tour d’honneur qui suit la présidentielle. Une élection de
confirmation. Il y a quelque chose de si machinal dans ce processus
que beaucoup ont jugé superflu de se rendre dans un bureau de vote.
C’est évidemment cette logique qui a broyé le Front de gauche.
Elle n’a pas été plus clémente avec Europe Écologie-Les Verts.
Il est d’ailleurs remarquable de constater qu’à partir de deux
stratégies opposées, l’une de confrontation avec le Parti
socialiste, l’autre d’alliance, le résultat est à peu près le
même, et guère flamboyant.
Dans
ce contexte, la « bataille des gauches » n’a pas fait
un pli. La bipolarisation de notre vie politique est en marche. Et
seule une forte dose de proportionnelle pourrait freiner ce
mouvement.
En
attendant, l’heure a sonné d’un
premier bilan. Il est évidemment très positif pour les socialistes,
qui, à peu de chose près, auront les coudées franches pour
gouverner à leur guise. À part quelques accidents de parcours,
genre La Rochelle. Mais, là aussi, il est significatif que les pires
tourments viennent de leur propre camp.
Toutefois,
la nette victoire du PS n’abolira
pas pour autant la réalité. Et Mélenchon, manifestement en proie à
un léger spleen dimanche soir sous le crachin d’Hénin-Beaumont,
n’avait pas tort d’invoquer « la
grande roue de l’histoire ».
La crise, la dette, l’austérité, le chômage : si les
problèmes ne sont pas dans l’hémicycle, ils sont partout
ailleurs. Et les voix de gauche qui font entendre d’autres
solutions que libérales redeviendront rapidement audibles.
La
situation grecque en témoigne. Qui
aurait imaginé il y a quelques mois seulement que la gauche radicale
serait en position de remporter une élection législative ?
Mais, à l’instant, le bilan est évidemment sombre pour le Front
de gauche, plus fragilisé sans doute que les Verts. L’équilibre
précaire qui repose sur le charisme d’un leader talentueux et la
force militante du Parti communiste vat- il résister ? On peut
faire confiance au Parti socialiste triomphant pour remuer le couteau
dans la plaie en tentant par exemple d’attirer à lui les
dirigeants communistes. Quelle sera leur attitude ? Le Front de
gauche, après avoir tutoyé les sommets, va-t-il survivre à l’échec
de son leader ? Ce n’est pas certain. En son sein, en tout
cas, les communistes reprennent la main. Mais nous serons les
derniers à envisager la suite dans le champ clos des partis
politiques. La tempête économique et sociale qui s’annonce risque
de balayer les bilans à courte vue et les prophéties hasardeuses.
À
droite, les doutes ne sont pas moins inquiétants. Ils
sont même plus profonds en ce qu’ils posent la question des
principes. Au-delà de la petite cuisine électorale, on voit que se
joue de ce côté-là une recomposition du paysage politique. Le
« ni-ni », ni PS ni Front national, décrété lundi par
l’UMP, prolonge harmonieusement le quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Et qu’on ne vienne pas nous dire que la droite répond à son
électorat majoritairement favorable à des accords avec le FN !
Cette évolution dans cette partie de l’opinion publique a été
savamment « travaillée » par cinq ans de sarkozysme.
Après un rapprochement idéologique quasi fusionnel, il n’est
guère étonnant que vienne le temps du rapprochement politique. La
« dédiabolisation » du FN est beaucoup plus le fruit
vénéneux du discours de la droite que de la campagne de Marine Le
Pen elle-même.
Toute
honte bue, les leaders de la droite ont
tenté ces jours-ci de justifier leur petite descente aux enfers par
ce qu’on appelle un « élément de langage ». Tous
l’ont récité comme un seul homme, ou comme une seule femme (voir
Kosciusko-Morizet). Mélenchon et le PCF sont soudain devenus, dans
l’entre-deuxtours, « l’extrême
gauche ».
Et puisque les socialistes fréquentent cette extrême gauchelà,
pourquoi se priverait-on d’une bonne alliance avec la famille Le
Pen ? Il y avait une faille dans cette apparente symétrie. Le
désaccord entre le Front de gauche et les socialistes est
politique ; il ne porte pas sur les valeurs. On a donc imaginé
autre chose pour que la symétrie fût parfaite. En 48 heures, dans
la bouche de Nathalie Kosciusco-Morizet et même d’Alain Juppé, le
Front de gauche est devenu« antisémite ».
On mesure à quel point le sarkozysme est un naufrage moral."
Denis SIEFFERT – édito POLITIS 1207 14-20 juin 2012
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