samedi 20 février 2016

Ils ont voulu nous enterrer, ils ont oublié qu'on était des graines.

Bien sûr, moi comme beaucoup de monde, je me pose ces questions, d'essayer de comprendre en faisant travailler ma mémoire, comment et pourquoi j'en suis arrivé à plutôt faire de la politique plutôt que de la musique  par exemple. Pourquoi je suis devenu enseignant et pas journaliste . Est-ce qu'on est déterminé dans nos choix ou cela se fait-il purement ...par hasard !
Je ne vais pas rentrer dans un débat philosophique ou psychanalytique, mais les questions sont parfois bien présentes car on a toutes et tous besoin de savoir, en tout cas, de trouver un minimum de sens dans le cheminement de nos vies.
Famille nombreuse, (j'ai quatre soeurs), un père ouvrier dans une usine textile, une mère qui a élevé ses enfants et a travaillé aussi dans une superette de village tout en faisant de la couture à domicile, des poules, des lapins, un potager, une petite maisonette familiale dans un village proche d'une ville qui est devenue depuis une banlieue. L'histoire aussi a frappé, puisque mon père, comme pas mal d'alsaciens qui n'avaient pas les moyens financiers pour fuir en “zône libre”, a été enrolé de force, malgré-lui, et s'est retrouvé au camp de prisonniers de Tambov. Plus de nouvelles de lui, mais un jour, il était de retour après un long périple, à pied entre autres, depuis cette contrée lointaine de l'Est lorsque la guerre fut déclarée achevée. Il avait survécu, mais meurtri à vie et se retrouvant face à des ex-collabos à de bonnes places qui délivraient le travail à ceux qui revenaient : innacceptable ! Est-ce cette injustice, cette violence des faits qui m'a marqué en premier dans une conscience inconsciente future ? Ma mère, qui vivait sa foi religieuse au quotidien ( elle a du beaucoup prier pour espérer le retour de son mari) était très généreuse et rendait service à tout le voisinage, même si on n'avait que le minimum. Est-ce cela qui a fait que j'avais ce sens des autres ?


Et dans ce milieu modeste, dans une Alsace sortie de la guerre et qui par son histoire a toujours été trimballée entre Allemagne et France, comment en suis-je venu à être si attiré et imprégné de culture américaine ? Par rejet des pays de l'Est qui étaient une image de souffrance, d'enfermement ?
Nous sommes toutes et tous là à rechercher dans notre passé, dans notre enfance et le passé de nos géniteurs, du sens à nos errements et cheminements. Par ce qu'on en connait, on peut lier, relier des évènements, mais trouver des réponses , c'est moins sûr. Et d'ailleurs ce n'est pas si important non plus.
Moi, je pense personnellement, en ce qui me concerne, que quelque part, comme beaucoup de monde, j'avais besoin de m'évader, de rêver, de voyager, de nourrir ma curiosité “naturelle” et d'ouvrir en grand le champ des possibles. Je travaillais l'été dans l'usine textile où travaillait aussi mon père. J'y ai rencontré des ouvriers qui devaient avoir alors trente-quarante ans qui avaient été trop jeunes pour la deuxième guerre mondiale, mais assez pour la guerre d'Algérie. L'horreur qu'ils avaient vécue se lisait parfois dans leurs regards et ils aimaient se retrouver le week-end avec quelques bouteilles et une pétanque ou une partie de cartes et danser avec les filles. Ils écoutaient Glenn Miller, quelques standards du jazz be-boop américain, ces américains qu'ils avaient vu passer  quand ils étaient enfants. Bien sûr, j'étais bien plus jeune et avec mes premiers salaires, ou les quelques pièces économisées, je commençais à m'acheter des disques vinyls. Je me souviens du tout premier : “Disraeli Gears” des Cream, ce trio anglais avec Jack Bruce et ...Eric Clapton ! Et puis Soft Machine que je continue à beaucoup écouter encore aujourd'hui. Je lisais déjà beaucoup et là encore, je cherchais toujours la nouveauté, l'originalité et je suis devenu un lecteur assidu de Actuel, la Gueule ouverte , Hara-Kiri et autres revues qu'on disait ...marginales !
Et puis, l'opportunité de partir aux USA un été s'est présentée et me voilà à faire du stop pour traverser les USA d'est en ouest, du sud au nord pendant plusieurs mois en cette année 1970 et me retrouver très vite quasi installé à San Francisco “l'été de l'amour” et de tous les excès et expériences diverses, surtout entouré par des ex- du Vietnam, qui sont revenus hagards et complètement déjantés de cette horreur. Ces rencontres ont sans aucun doute également “formé” ma prise de conscience politique d'une contre-culture non-violente et complètement alternative.
Et puis, par la suite, avoir vécu dans un pays du Maghreb, puis à la Nouvelle-Orléans entre autres, cela a aussi beaucoup ouvert ma conscience des choses, à accentuer encore ma tolérance face à ces diversités culturelles, civilisationnelles.



Et puis, à un moment donné de ma vie, j'ai senti le besoin de partager ces expériences, de faire bouger ce conservatisme étroit dans lequel était englué la France, encore plus marqué en Alsace, région de double culture. Ce besoin de respirer, de tracer de nouvelles routes, de se battre pour changer les choses là où on est, de le faire connaitre, d'encourager à agir par l'exemplarité, tout cela a sûrement été prédominant pour qu'à un moment le champ citoyen d'abord (au sein d'un conseil municipal et Com'Com) puis politique (au sein d'un parti) devenaient évidents. Et l'est encore, même s'il se “réduit” aujourd'hui à des engagements uniquement associatifs.
Pour le choix professionnel, cela n'a pas été vraiment un choix personnel, mais plutot “économique”. De famille nombreuse, continuer ses études au-delà du collège, il y avait à l'époque la possibilité d'une prise en charge de l'Etat pour les élèves “méritants” au travers de l'Ecole Normale des Instituteurs dès quinze ans en internat au début. C'est ainsi que je me suis retrouvé à Strasbourg et la grande ville était aussi un nouveau territoire à explorer. Puis l'Université et les luttes politiques de cette révolution culturelle entre 1968 et 1971 contre la morale chrétienne, religieuse, l'hypocrisie sexuelle, le conservatisme politique “éternel”, l'armée obligatoire et l'objection de conscience qui démarrait, la place de la femme, la notion de travail-enfermement, et que sais-je encore ? En tout cas, une période de bouleversements , de renversement des vieux principes. C'était la porte ouverte à toutes les expérimentations... et notre génération a pleinement vécu ce melting pot des sens, du sens. Cela nous a formé, a ouvert notre sens critique, nos exigences radicales.




Chacun-e les a traduit ensuite toute sa vie durant en les déclinant sur toutes les gammes. Quand aujourd'hui, j'entends des paroles comme “il n'y a pas d'autres alternatives”, “on ne peut pas faire autrement”, “soyez réalistes, mettez les pieds sur terre”, “ c'est compliqué, il faut d'abord faire des études” et ce genre de réflexions qui veulent justifier la lâcheté ambiante, cela non seulement ne me convainct d'aucune façon, mais en plus me fait sourire tant le vocabulaire et les arguments sont répétitifs depuis des décennies.

Et quand on SAIT regarder et écouter autrement, on ne peut que rester optimiste quelque part, car on a la petite voix interne qui dit qu'on a déjà vu un monde à terre qui s'est relevé et que les crises financières pour augmenter encore les profits (de certains) aujourd'hui ne dureront que pour celles et ceux qui ne voient ou ne connaissent qu'un schéma.  Des vies autres existent, et il y a tant de  chemins de traverse et des petites mélodies décalées qui sont disséminés partout.



Et vous ?
Quels chemins avez-vous empruntés ? Avez-vous trouvé du sens dans vos cheminements ?



  “ Ils ont voulu nous enterrer, ils ont oublié qu'on était des graines.”


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