mercredi 10 janvier 2018

DES CHIMPANZES AUGMENTES AUX FOURMIS DEMESUREES


Ils étaient là en face l’un de l’autre. Elle lui parlait, il la regardait dans les yeux, mais elle ne quittait pas du regard son Iphone (ou son Apple Watch).
Dans la cafétéria du lycée, on avait beau regarder de tous les côtés, les jeunes étaient assis ou debout et chaque main était prolongée par le téléphone portable et un doigt tapait des lettres en raccourcis SMS ou autre novlangue.

J’étais assis dans la salle d’attente de mon médecin pour renouveler l’ordonnance de mon traitement. Personnes âgées qui toussent, adolescents impatients qui piétinent. Tous ont leur Iphone à la main et soit écrivent des SMS soit jouent à des jeux si ce n’est pas une conversation téléphonique à voix haute dont tout le monde profite et sans intérêt en plus. Je suis le seul avec un livre à la main que j’ai emporté dans mon sac et même si quelqu’un de temps en temps se sert dans la pile de revues « people » sur la table basse, ils/elles ne font qu’y jeter un rapide coup d’oeil superficiel avant de la reposer très vite sur la pile.

Chacun de son côté sur son ordinateur portable cherchait sur des sites de rencontre de quoi mettre un peu de piment dans la vie terne du quotidien, maintenant que les enfants étaient grands.
Dans le même quartier, un peu plus loin, une jeune fille, un jeune homme, seul-e devant l’écran se faisait embarquer par la propagande d’un-e- inconnu-e avec la promesse d’un monde meilleur si on se battait pour « une cause ». A l’étage, les parents font leurs commandes sur le site « aux livraisons gratuites sous 24 heures ».

« Allo ? Concernant votre demande d’emploi à ce poste, vous avez le profil adéquate, les compétences et vos prétentions salariales sont dans les normes. Nous avons retenu votre candidature . Cependant, nos services informatiques ont fait remonter jusqu’à moi, des pages qui apparaissent sur votre compte Facebook avec des photos, disons, ...préoccupantes. Nous ne pourrons donc pas donner suite car notre entreprise est réputée sérieuse et nous ne pouvons pas prendre le risque que des commanditaires tombent sur ces photos de notre personnel qualifié. Nous demandons à nos employés d’être clean tout en ayant droit à leur vie privée, mais pas exposée publiquement ainsi sur les réseaux sociaux. Désolé. »

« Mademoiselle, je suis au regret de devoir vous annoncer que votre contrat avec notre entreprise a été rompu. On nous a fait parvenir une copie d’un de vos SMS où vous insultiez notre patron et même si cela est du domaine privé, il est arrivé jusqu’à nous et nous ne pouvons pas accepter ce genre d’attitude et de propos de nos employés. Vous pouvez disposer, prendre vos affaires et quitter l’entreprise immédiatement. »

Des titres de journaux (à répétition) : « Suicide d’un très jeune garçon, d’une très jeune fille, suite à un harcèlement et des propos dégradants ayant circulé sur lui, sur elle, sur les réseaux sociaux. »

Nous sommes en 2018, c’est le quotidien de tout un chacun et il n’y a plus personne pour raisonner tout ce petit monde connecté que les dangers existent, que nous sommes déjà sous addiction et que ce n’est que le début, la face visible de ce glissement progressif, mais très rapide, vers cet autre monde dématérialisé de l’immédiateté, de l’éphémère et de notre ...inutilité prochaine.

 
Né au siècle dernier, j’ai vu les soubresauts, puis l’accélération de la mise en œuvre de tous ces outils numériques qui sont aujourd’hui omniprésents dans notre vie quotidienne et professionnelle.
Les personnes nées après 2000 ne peuvent même plus imaginer le monde d’hier et nous regardent parfois, malhabiles avec ces nouveaux objets-outils, comme si nous étions les derniers dinosaures...

L’histoire de l’Homme (c’est une façon simplifiée pour dire l’homme/la femme) de Néanderthal à Sapiens est riche d’enseignements.
Nous avons globalement vaincu la famine, les épidémies, les guerres et les humains se sont structurés en sociétés, en nations avec des croyances religieuses diverses.
Les dualités constantes, entre la fiction (l’histoire racontée) et la réalité (quand on souffre physiquement) d’une part et puis, d’un autre côté, la religion (facteur d’ordre, mais aussi totalitaire) et la science (qui montre des faits, l’évolution), ont toujours existé.
Jusque là, les dirigeants de ce monde pouvaient se prévaloir de ces dualités et en tirer tous les profits : la religion est une création de l’homme, un outil de préservation de l’ordre social et d’organisation de la coopération à grande échelle ; le pouvoir se nourrit de l’alliance entre le progrès scientifique et la croissance économique.
Préserver l’égalité sociale, assurer l’harmonie écologique sont des freins à la croissance économique qui fonctionne sur le « toujours plus » et tout est fait pour les minimiser, voire les occulter. Mais cette croissance est basée sur les ressources et elles ne sont pas inépuisables.
Il faut donc bien trouver de nouvelles sources d’énergie, des matériaux nouveaux et emmagasiner plus de connaissances : nanotechnologies, génie génétique, intelligence artificielle…

En 1850, 90 % des humains étaient paysans. Puis vinrent la machine à vapeur, le chemin de fer, le télégraphe, l’électricité...Marx-Lenine prônent le salut par la technique et l’économie dans le socialisme.
En 1970, 130 pays sont indépendants à travers le monde, mais à peine une trentaine sont des démocraties (essentiellement au nord-ouest de l’Europe).Les Etats-Unis se veulent le leader du monde libre, mais avec des alliés encombrants (Khaled D’Arabie, Hassan II du Maroc, le Shah d’Iran, les colonels grecs, Pinochet au Chili, …) et surtout, les armes nucléaires et les supermarchés ! Plein de pays « démocratiques » se rattachent alors au capitalisme (libéralisme) où nous ne sommes plus considérés que comme des clients et des électeurs.
Ce libéralisme met en avant la liberté plus que l’égalité et l’individu avant le collectif.

Mais que reste-t-il de libertés dans ce monde-là ? La faculté d’agir en fonction de ses désirs ? Mais choisit-on encore ses désirs librement ? L’homme est manipulable à souhait, conditionné…
Nous sommes déjà inondés d’appareils, d’outils et de structures, utiles peut-être, mais qui ne laissent plus aucune place au « libre-arbitre » des individus : drones, robots, ordinateurs, scanner irmf, imprimantes 3D, casques connectés au cerveau (stimulateurs transcraniens), enseignants numériques adaptés aux individus, tomographie axiale, diagnostics médicaux, capteurs pour diabétiques, reconnaissance de formes, ….

Le marché du travail recouvre les domaines de l’agriculture, de l’industrie, des services.
Mais que deviendra ce marché du travail quand l’intelligence artificielle fera les tâches cognitives ? Quel sera l’impact politique d’une nouvelle classe nombreuse de gens économiquement inutiles ? Que deviendra la société avec des écarts sans précédent entre riches (propriétaires des algorithmes supérieurs) et pauvres ?

Plein de métiers vont disparaître très vite. L’être humain a deux capacités : physiques et cognitives qui peuvent être remplacées et seront remplacées par l’automation, la robotisation, les algorithmes. Des exemples ?
Uber gère des millions de chauffeurs avec très peu d’humains.
Deep Blue (ordinateur IBM) remporte des parties d’échecs contre le champion Kasparov dès 1996.
En mars 2016, Alpha Go (Google) bat le meilleur joueur de go, Lee Sedol.
Depuis 2014, Google et Tesla développent des véhicules sans conducteurs.
Google Baseline Study a commencé à récolter une base de données sur la santé grâce à des capteurs intégrés dans des vêtements, bracelets, chaussures, lunettes (de marque Google Fit) alors que la société 23andMe développe la commercialisation des tests ADN, tout en créant une base de données génétiques.
Novartis, Google, Pixie, Microsoft sont déjà depuis des années dans ce monde du Big Data, récolte des données personnelles dans votre vie privée.
Microsoft « Cortana » est une « assistante personnelle » intégrée dans Windows et qui accède à tout le disque dur (mails, dossiers, images, …). Google Now et Siri d’Apple font pareillement. Kindle, tablette de lecture, intègre la reconnaissance faciale pendant la lecture et envoie les informations à Amazon qui vous fait des propositions de livres adaptés.
La médecine s’occupe plus de l’optimisation des sujets sains plutôt que de guérison des malades...et recherche les technologies visant l’immortalité.
EMI (David Cope) développe la composition musicale par algorithmes. Un morceau né d'une collaboration entre Stromae et les algorithmes sort actuellement sur le marché musical.
Nous glissons vers l’internet-de-tous-les-objets (Internet Of All Things) où tout doit être connecté (cerveau, maison, habits, voiture, ….) avec l’Intelligence Artificielle-les algorithmes qui gère l’ensemble.

 
Les structures politiques traitent les données, analysent l’information, mais les révolutions technologiques distancent les processus politiques qui n’ont plus le contrôle des situations. Le gouvernement n’est plus qu’une simple administration qui gère.
Le marché boursier qui dirige l’économie mondiale est le plus gros centre actuel de traitement de données.

L’islamisme radical, le christianisme fondamentaliste, le judaïsme messianique, le revivalisme hindou qui perdent le contact avec les réalités technologiques se privent de la capacité de comprendre les questions qui se posent (ils ont aussi rejeté Darwin) et vont être écartées.

Que nous reste-t-il encore ?
Nos données personnelles sont encore pour l’instant la ressource la plus précieuse que la plupart des humains puissent offrir. Et puis, la conscience, les expériences subjectives, les sensations, les émotions, les pensées, l’imagination (hors de nos conditionnements), le sentiment d’amour sont nos derniers recours face à l’intelligence artificielle.

Dans ce nouveau monde où tout doit être immédiat, où « on prend et on jette », quelle place a encore la patience, les sentiments, la conscience, les émotions, l’imagination ?
Ces valeurs seront-elles encore présentes, vivantes dans quelques années ?
Quand on observe la jeune génération d’aujourd’hui, on peut presque faire une lecture de l’histoire de l’avenir.

Il y a cependant l'impact environnemental énorme qui découle de cette évolution technologique.
Le marché financier et des matières est  passif, aveugle devant la menace du réchauffement climatique et des dangers potentiels de l’intelligence artificielle. La "croissance verte" mise en avant par nos gouvernements de technocrates et financiers et qu'on nous présente comme "décarbonée" est un leurre, une usurpation. Dans toute technologie numérique, ainsi que les voitures électriques, il y a pas mal de "métaux rares" indispensables dans les composants (batteries entre autres). Or l'extraction de ceux-ci se fait par l'exploitation minière très polluante sur des grands territoires. Trop impactant dans certains pays européens (et trop visibles) ces mines ont été abandonnées en France par exemple et aujourd'hui, tous ces métaux rares viennent des mines de Chine (Mongolie) et d'Afrique. La pollution (extraction, durée) générée est bien supérieure au ...diesel. Ce ne sont donc pas et, loin de là, des énergies propres et renouvelables.
Il n'y a que peu de solutions ou pistes actuellement pour contrecarrer ou minimiser ces "effets collatéraux" : revenir à plus de sobriété, recycler bien plus les métaux rares et se battre contre l'obsolescence programmée.

Nous ne sommes qu’au début d’un changement de civilisation, il vaut mieux y réfléchir, agir, résister, avant qu’on ne devienne inutile !

Nous sommes venus des chimpanzés « augmentés », demain serons-nous des fourmis surdimensionnées ?



 
…………………………………………….EN SAVOIR PLUS……………………………………...


Les sources viennent principalement du livre :
« HOMO DEUS » de Yuval Noah Harari
(éditions Albin Michel-2017)


Je ne peux aussi que vivement vous conseiller aussi 
deux films-DVD qui vous éclairciront encore plus :

SNOWDEN de Oliver Stone (2016)

HER de Spike Jonze (2013)


(disponibles à la Médiathèque Numérique)