mardi 6 février 2018

UNE ECOLE SANS NOTES ?

Lycéen.ne.s et étudiant.e.s appellent ces jours-ci à la grève et à manifester leur mécontentement par rapport au nouveau projet gouvernemental d’évaluation, d’inscription dans l’enseignement supérieur et de l’orientation.

Le chien obtient une «gâterie alimentaire» (pour ne pas dire un sucre !) comme récompense de son obéissance lors du dressage. Et l’élève ?

Chaque gouvernement veut marquer son «passage» en faisant des réformes ministérielles, et ainsi tous les 5 ans  les fonctionnaires se réadaptent aux nouvelles directives. L’Éducation Nationale n’y échappe pas, bien au contraire ; mais toujours de façon si collatérale qu’on ne suit même plus. Voilà la réforme Bac 2021 et les nouvelles modalités d’inscription pour les universités et grandes écoles. L’objectif affiché est une meilleure orientation pour moins d’échecs après la première année d’études supérieures et un encouragement à l’apprentissage. Les intentions sonnent toujours positives, mais la méthodologie est souvent expérimentale avant l’abandon…Pour une plus grande chance, le ministre Blanquer parle de plus de prise en compte des notes tout au long du cycle terminal en lycée pour l’évaluation finale au Baccalauréat.
Mais est-ce vraiment « objectif » quand on sait les différences qu’il peut y avoir d’un lycée à au autre ? Et offrir les places post-bac en fonction des « demandes, offres » des entreprises, n’est-ce pas limiter et sélectionner quelque part avant même la fin des cycles universitaires, de formation ?

LES NOTES
Non pas celles qui sont sur le frigo, du genre «Pense à prendre du pain en rentrant ce soir», mais la notation scolaire, celle sur qui tout est basé pour juger des «capacités» de chacun-e et ce, dès le plus jeune âge.
Vous vous souvenez peut-être que l’on parlait d’«Instruction Publique » avant que cette grosse entreprise ne devienne Éducation Nationale. Au moins, on savait ce qu’on y faisait : instruire. On partageait les connaissances, on diffusait le savoir détenu par les enseignant.e.s, et le Certificat d’Etudes était le diplôme valorisant alors, puisque la plupart des élèves arrêtaient l’école à 14 ans. On sortait de la guerre, il fallait reconstruire le pays et le Conseil National de la Résistance mettait en place son programme émancipateur et social. Mais en dehors du contexte historique, le questionnement sur les notes est présent en permanence et de tous les côtés : élèves, parents enseignants.

Un enfant naît. En deux-trois ans, il emmagasine et expérimente une somme considérable de savoirs et savoirs-faire concentrés sur un temps si réduit qui ne se reproduira probablement plus : apprendre à se déplacer, à parler… Et, les sollicitations intellectuelles et d’apprentissages pratiques qui sont là, en permanence, exercées par les parents et les professionnels de la Petite Enfance. D’ailleurs à leur sujet, il serait temps de reconnaître le travail précieux, indispensable de ce personnel qui a compris depuis longtemps que la petite enfance n’est pas de la garderie et une cantine, mais un lieu d’éveil, de socialisation, d’expérimentation, d’ouverture au monde a un âge où le cerveau est encore quasi vierge et leurs apports sont donc d’une importance capitale quant au développement de l’enfant.
Et, un jour c’est le «grand» jour : l’entrée à l’école. Maternelle d’abord et pourquoi ce nom « maternelle » alors que les enseignant.e .s sont des instituteurs.trices qui vont structurer le temps par des apprentissages aussi bien sociaux, de comportements et de règles, que cognitifs : reconnaissance de sons, puis de mots, gestuelle qui facilitera l’écriture, la structuration du récit, la sensibilisation aux nombres, à l’ordonnancement, et la découverte du corps, des mouvements, … Épargnée longtemps par le système des notes, l’école maternelle a quand même été soumise à un système d’évaluation des acquis et un président précédent voulait même qu’on y débusque déjà les violent.e.s, les problématiques, les...bref, mettre en case avant 5-6 ans !
Et puis arrive le passage à la « grande «  école ! Et là commence la sélection, la mise en fiches, la nomenclature des êtres alors que ces jeunes enfants sont bien, bien ,bien loin d’être « aboutis » ! Mais il faut qu’ils sachent lire avant Noël ou le printemps sinon ils sont soupçonnés d’avoir un développement intellectuel problématique. Il faut qu’ils obéissent et restent immobiles sur leurs chaises pendant des heures, qu’ils écrivent proprement, qu’ils se soumettent aux règles générales de la discipline scolaire sans discussion, … Le formatage commence, le dressage prend le dessus sur l’apprentissage (puisqu’il n’y a pas de place à l’expérimentation) et le chemin est tout tracé. Si on a une bonne capacité de mémoire, on s’en sortira toujours plus ou moins bien sans trop d’efforts puisque on emmagasine des connaissances et on les recrache et ça convient à tout le monde dans ce système d’évaluation, bientôt de notation.



 
Voilà où ça commence à se gâter : les bulletins de notes. On a beau avoir expérimenté les systèmes de 1 à 20, de A à E, de novice à expert, il n’y a que la forme qui change. Combien d’histoires chacun.e peut il-elle raconter sur les angoisses liées aux notes, l’image de soi, la peur des réactions des parents, le regard des enseignant.e.s.
Cela peut provoquer des drames familiaux et un dégoût à vie de tout système d’apprentissage, une allergie aux « études »…, des comportements violents. On ne remet jamais en cause un système mais on condamne l’élève.
Certain.e.s « privilégié.e.s » sortiront de l’enseignement public pour aller dans des écoles privées « Steiner » ou confessionnelles, moins soumises à ce système d’évaluation stricte et forcément restrictive.
Certains pays ont aussi fait le choix depuis des années de supprimer toute notation et ce n’est pas le chaos pour autant et le niveau d’instruction est tout aussi haut sinon plus que les autres pays autour.
On dit que les notes sont là pour mieux sélectionner des profils, pour une meilleure orientation et donc des chances de réussites dans le monde professionnel.

SELECTION, ORIENTATION
Revenons un peu en arrière sur nos propres expériences scolaires. Vous avez tou.te.s suivi le système scolaire de 6 à 16 ans au moins : dix ans de votre jeunesse. Une fois que vous aviez appris à marcher et à parler, vous étiez déjà équipé.e.s pour vous débrouiller un minimum. Mais quand il a fallu passer à la lecture, ce fut plus difficile d’autant que si vous ne lisiez pas à 6 ans, vous étiez considéré.e comme handicapé.e. Alors que la lecture va avec la «maturité» et pour certain.e.s il faut un peu plus de temps que pour d’autres. Et puis écrire. Alors là, c’est le drame assuré : soin, propreté, lisibilité et sans compter l’orthographe, la grammaire, la conjugaison. Il ne faut pas seulement écrire, mais sans fautes, de façon lisible, impeccable et avec un vocabulaire riche...Vous pouvez sans aucun doute toutes, tous raconter des anecdotes liées à ce stade des acquisitions exigées par l’école. Maintenant, réfléchissez où on en est aujourd’hui au XXIème siècle. Combien de fois prenez-vous un stylo, un crayon pour écrire encore manuellement, lisiblement, et pour quoi faire ? Et puis éléphant s’écrit à présent éléfant...et sans aller jusqu’à la novlangue SMS et autres abrégés idiomatiques.

Je peux aussi me fondre dans le système, suivre ses règles, obtenir toujours de bonnes notes et échouer aux examens, concours et autres tests de recrutement uniquement puisque je suis trop émotif.ve et que je perds mes moyens lors d’épreuves importantes.
Sur quoi se base la notation : parfois sur des critères objectifs de réponses indiscutables (en mathématique par exemple), mais en composition française, en philosophie, en ….Et puis, faut-il des bonnes notes dans toutes les disciplines pour être considéré.e comme un.e bon.ne élève ? Et que révèlent les notes sur une personne ? Qu’elle est capable de se plier à des règles et d’apprendre, de retenir (mais pas forcément de comprendre et pouvoir élaborer des procédures, des hypothèses, de l’expérimentation, …).

On veut aussi, pour justifier tout ce système, convaincre qu’avec un parcours de réussite scolaire (avec donc des bons résultats scolaires, de bonnes notes), on aura bien plus de chance de décrocher un BON travail, bien REMUNERE et donc d’avoir un belle vie agréable sans soucis financiers...C’est bien cela qu’on nous met en avant comme arguments premiers pour justifier le tout.
Mais avec le recul d’aujourd’hui, on a bien compris que c’est loin d’être automatique, d’être la voie toute tracée du bonheur. L’école n’est plus facteur de réussite sociale généralisée.
On peut être bardé de diplômes et être au chômage aujourd’hui.



LA VIE
Pour beaucoup de personnes, être heureux, c’est avoir de l’argent, une aisance matérielle importante et du pouvoir qui va avec. Si cela était l’objectif d’un gouvernement, d’un pays avec une accession au monde du travail salarié en fonction des capacités et désirs de chacun.e avec une juste rémunération et des services publics omniprésents qui facilitent la vie de tous, alors la critique de ce système scolaire n’aurait lieu d’être. Mais malheureusement, ce n’est pas le cas. Et on peut s’interroger sur l’école, si ce type de fonctionnement de l’école n’était pas une vaste duperie pour une volonté de nivellement, d’homogénéisation (afin de ne pas avoir trop de problèmes sociaux avec la population jeune) et un formatage des cerveaux pour devenir «des petits soldats de l’économie» corvéable et malléable, acceptant la précarité, la flexibilité, le temps partiel, des salaires de misère, malgré des degrés d’instruction élevés.
Et puis encore : De quoi nous souvenons-nous vraiment de nos apprentissages scolaires, des 10 ans (au moins) passés à l’école-collège ? Et combien de jeunes/jeune-adultes changent de « direction de vie », sortis de l’école ?
Honnêtement, dans cette civilisation d’accès à la connaissance universelle, quelles sont encore les valeurs et les apprentissages transmis par les enseignant.e.s ? Quels sont encore leurs rôles, leurs apports, leur utilité dans ce cadre strict, en 2018 ? Il faut constamment redéfinir et s’interroger certes, mais ce ne sont pas les horaires, la précision des contenus, les méthodes d’évaluation qui sont à constamment changer, mais plutôt le quoi, le pourquoi, et comment.

Des enseignant.e.s dévoué.e.s ; un système adapté à l’économie, pas aux jeunes-adultes.
Une école sans notes (comme dans certains pays) ?
Au sein de «l’école» (au sens large), on trouve des personnes remarquables qui se posent ce genre de questions en permanence et expérimentent au quotidien en étant au plus près des préoccupations et besoins des enfants-adolescent.e.s, en construction et dans le respect de leur individualité.. Mais on leur rappelle fermement les directives ministérielles, le programme à répartir annuellement, les objectifs chiffrés à atteindre et surtout qu’ils-elles n’ont pas à avoir d’états d’âmes mais d’exécuter ce pour quoi ils-elles sont payé.e.s (leur mission!).

Cela ne fait guère évoluer les choses aussi bien pour les élèves que pour les enseignant.e.s. Et les notes dans tout cela n’ont plus grande importance….Alors, autant s’en dédouaner et rapidement. Cela apaisera pas mal de situations stressantes, voire traumatisantes.
Et puis, des remarques personnalisées, avec des pistes de recherche, de méthodologie, de compléments d’apprentissages, ne seraient-elles pas plus utiles, plus formatrices qu’une note qui sanctionne, bien plus qu’elle n’encourage ?
Et à quoi ?




dessins de Paujour, Veesse (www.hebdi.com) et citation de John Lennon