mardi 28 juin 2016

Privilégié, moi ?

C'est vrai que quand on est détaché des obligations professionnelles qui nous aident à “gagner” notre vie ou plutôt qui nous permettent d'avoir de l'argent pour avoir un toit, se nourrir, se vêtir, se déplacer ;  bref quand on a un certain âge et qu'on a tout, matériellement, on est réellement libre et on peut vivre au jour le jour de façon pleine et heureuse.
Mais est-ce que le détachement matériel suffit à une plénitude de bonheur ?  




Ce qui apporte aussi le surplus de bonheur c'est de vivre avec une personne avec qui on partage les idées, les convictions profondes, un certain art de vivre. Peut-être même avec qui on a fait et élevé un ou plusieurs enfants, avec lequel-lesquels on se sent bien. Et même peut-être encore plus, qui vous ont donné des petits-fils ou petites-filles avec lesquel-le-s il est si agréable de se retrouver à trois générations et avec lesquel-le-s on peut discuter, échanger librement, sans pudeur et sans gène.
Est-ce si rare ?
Probablement. Et pourtant c'est un peu ce que l'on souhaite toutes et tous, non ? D'arriver dans ce temps de vie (de la “retraite”) où ces conditions sont réunies, avec la santé en plus !
On pourrait alors se contenter pleinement de ce bonheur, de ces moments de vie.

Mais on a aussi une sorte de “devoir” de partage, de transmission, d'échange de savoirs et je crois que cela aussi est très important. C'est pour cela que nous nous devons de parler beaucoup, de donner nos avis, de partager nos expériences, nos savoirs-faire, de ne pas se taire et se terrer, mais bien de transmettre, de donner.

Ce n'est pas donné à tout le monde et donc je devrai me sentir “privilégié” et même avoir honte d'affirmer cette légèreté. Je devrai me laisser traiter de bourgeois, de nanti, de ...Mais il faut alors rappeler un certain nombre de choses qui montrent que ce que l'on croit aujourd'hui (par l'apparence) est bien lié à la décrépitude d'une certaine façon de tout un tissu social de ce pays en peu de temps.



Je suis né après-guerre (la deuxième guerre mondiale, six ans après la libération du pays). J'ai fait l'école primaire, mon certificat d'études, puis les classes d'orientation, le petit lycée et j'ai fait le concours d'entrée à l'école normale après la 3ème. Mes parents, ouvriers avec cinq enfants, ne pouvaient pas nous payer les études supérieures et même le lycée occasionnait pas mal de frais. Donc, j'ai fait l'Ecole Normale d'Instituteurs, interne et boursier de l'Etat. En contrepartie, on signait un contrat de travail où on s'engageait à enseigner au moins dix ans pour l'Etat.
Ma vie a été donc essentiellement basée sur mon métier d'enseignant avec les parenthèses des vacances scolaires. Ces vacances étaient souvent consacrées aux voyages qui apportaient aussi matière à intégrer de nouvelles choses dans mon enseignement.
Bref, instituteur au départ, ça ne gagnait pas grand chose, mais il y avait la “sécurité” de l'emploi “à vie” et l'assurance d'une retraite de fonctionnaire d'Etat. Et les salaires n'augmentaient guère, pas de primes, pas de treizième mois, pas de véhicule de service, pas de ...Un “ouvrier spécialisé” gagnait bien plus que nous autres, enseignants et on n'était guère considéré lors du boum économique.
Et puis les temps ont changé, la financiarisation, la mondialisation, le capitalisme, le rognement des acquis sociaux, des conditions de travail de plus en plus dures, un chomage en augmentation permanente et la précarisation des contrats, la réduction des aides, la libéralisation dans tous les secteurs, l'augmentation du temps de travail et la réduction des taux des “retraites”...
Du coup, sans que pour nous rien n'ait changé, on se retrouve un peu plus “privilégiés” par comparaison au monde qui a changé. Mais pour nous, c'est juste que... rien n'a bougé !
Aussi , je ne me sens rien de tout cela : ni privilégié, ni bourgeois, ni nanti, ni bobo, ni coco, ni ….

Je mesure par contre pleinement le bonheur que je vis au quotidien et ce qui devrait être la norme minimale est aujourd'hui montrée du doigt. Mais c'est puisque on a PEUR de pointer le doigt plus haut, envers les responsables de la dégradation générale des conditions de vie. On a peur de désigner celles et ceux qui nous ont amené là ; on a peur que ça empire encore et alors, on leur laisse la place, le pouvoir, l'argent, on accepte les dérives, les abus, les répétitions, les cumuls, la captation des richesses, la démolition du tissu social et de notre environnement ...Quand on a peur on laisse faire, on se tait, on se plie...




Alors, c'est bien à nous qui avons passé à travers les filets des crises à répétition, qui sommes trop vieux pour être encore des enjeux socio-économiques, c'est bien à nous de parler haut et fort, de partager nos cheminements et de dire que tout cela n'est pas irrémédiable, que les changements viennent de minorités agissantes, que ce qu'on ne voit pas existe quand même et sera bien visible un jour ;  que le destin, l'avenir qu'on veut nous dessiner n'est pas le seul choix de vie possible, qu'il y a d'autres routes, d'autres horizons, d'autres personnes avec qui construire, inventer, voyager...que nous avons goûté, aimé, construit, crée, partagé...

Donc, oui , j'ai ma “famille” , celle réduite des liens du “sang”, mais aussi ma famille élargie à celles et ceux qui partagent des valeurs communes et humanistes, avec qui on a partagé et avec qui on partage encore des tranches de vie qui sont autant de retrouvailles comme si on ne s'était jamais séparés. Et aussi la “famille universelle” des femmes et hommes qui vivent sur cette planête et avec qui, d'une façon ou d'une autre, nous partageons un avenir commun, lié...

Je sais bien combien je me fais traiter d'idéaliste, de rêveur éclairé, d'optimiste invétéré, mais moi je ne me sens rien de tout cela, je suis juste moi, être humain, aterri sur cette planête à un moment donné, qui est de passage pendant une certaine durée et il faut bien relier tout ce qui m'est arrivé pour y voir du sens, un certain sens.
Plus le temps passe, avec l'âge et la mémoire encore bien vive, j'y vois encore plus de sens chaque jour, les choses deviennent si claires quand on lâche prise, quand on capte les signes, les clins d'oeil de la “vie”, qu'on se laisse aller avec ce que nous dicte le coeur que ce soit les attitudes, les actions ou les mots.

Mais bon, chacun-e fait son cheminement et chaque histoire est différente et c'est pour cela que c'est riche d'échanger, de partager.


Et là, on est loin, très loin de l'affrontement, du rejet, de la haine...
Privilégié, sûrement pas. Mais riche de mes expériences de vie, de mes apprentissages, de mes interrogations, de mes réflexions, et enthousiaste de les partager car c'est dans le partage qu'on se révèle.

Bel été à toutes et à tous !




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